La mémoire des entreprises : un actif stratégique pour conduire la transformation
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Dans un nouveau Briefing réalisé avec l’Observatoire B2V des Mémoires et avec le soutien d’Eurogroup Consulting, nous explorons le rôle central — mais encore trop sous-estimé — de la mémoire dans la conduite des transformations organisationnelles.
Les approches classiques du changement privilégient l’avenir : feuilles de route, KPIs, trajectoires de performance, modèles cibles… L’attention se porte sur ce que l’entreprise doit devenir, rarement sur ce qui fonde sa continuité.
Pourtant, la capacité à se transformer s’ancre dans le temps long : cohésion interne, transmission des savoir-faire, légitimité managériale, stabilité des récits collectifs, ou encore aptitude à surmonter les ruptures. Autant d’éléments mémoriels qui irriguent l’acceptabilité et la durabilité du changement, sans figurer dans les schémas organisationnels.
De la transformation projetée à la transformation rendue intelligible
La mémoire ne s’oppose pas à la transformation : elle la rend possible.
Elle représente un actif profondément immatériel — mais stratégiquement décisif — fait de récits fondateurs, de gestes métier, de décisions passées, de crises traversées, de savoir-faire techniques et de repères identitaires.
Les dirigeants interrogés le confirment : une organisation capable de relier explicitement ce qu’elle change à ce qu’elle est inspire confiance.
À l’inverse, une mémoire dispersée, insuffisamment formalisée ou volontairement effacée fragilise l’engagement des équipes. L’enjeu n’est pas seulement culturel : il touche à la crédibilité même des transformations engagées.
Les exemples sont nombreux. Dans la pêche, chez France Pélagique, les savoirs critiques se transmettent par le geste et la parole — et se perdent si ceux qui les détiennent partent. Chez Decathlon, les histoires vécues en magasin nourrissent l’engagement des nouvelles recrues. Chez Michelin ou Ruinart, l’ancienneté de la marque constitue un actif de management et d’innovation.
Partout, la question est la même : comment transformer sans perdre ce qui fait tenir l’organisation ?
Faire de la mémoire un levier structurant de la transformation
Deux dimensions structurent la mémoire comme ressource stratégique :
- La mémoire matérielle : archives, sites, objets, musées d’entreprise, produits et documents techniques.
Elle constitue une preuve tangible de la continuité, un socle pour l’innovation, et désormais un enjeu de cybersécurité. - La mémoire immatérielle : culture, valeurs, gestes métier, décisions passées, crises surmontées, mémoire du client, du territoire et des talents.
Elle circule dans les collectifs, s’incarne dans les pratiques, disparaît si elle n’est ni documentée ni transmise.
À la croisée de ces deux dimensions, la mémoire cesse d’être un patrimoine figé : elle devient un instrument opérationnel de conduite du changement.
L’étude met également en lumière une tension structurante : d’un côté, la nécessité d’entretenir la mémoire pour assurer la continuité et l’apprentissage ; de l’autre, la tentation d’« amnésie heureuse », qui vise à faire table rase pour paraître plus moderne, rompre avec un passé complexe ou éviter que l’histoire ne serve d’argument contre la réforme.
Mais cette stratégie de l’oubli a un coût : répétition des erreurs, perte de tacite, désorganisation, démotivation, insécurité juridique.
D’où une proposition forte : l’oubli doit être gouverné. On doit décider de ce que l’on oublie.
Une matrice pour piloter la mémoire comme actif stratégique
Pour accompagner les organisations, la publication propose une matrice qui évalue la mémoire selon deux axes :
- Valeur collaborateur : contribution à l’apprentissage, à l’engagement, à la prévention des erreurs, à la transmission des savoir-faire.
- Valeur client : impact sur la satisfaction, la fidélisation, la qualité de service et la perception de la marque.
Cette grille distingue plusieurs types de mémoires — métier, identitaire, territoriale, innovation, crises, client — permettant de situer l’organisation, d’identifier ses zones de vulnérabilité et d’orienter une stratégie de mobilisation.
Les entreprises disposant d’une mémoire profonde et activable gagnent en robustesse : leurs transformations sont plus rapides, mieux comprises et plus durables.
Mémoire et transformation : une architecture de continuité
La mémoire n’est pas un frein au changement.
Elle n’est pas nostalgie, mais ressource stratégique.
Dans un contexte où la transformation permanente est devenue la norme — et où chaque rupture est vécue par les salariés comme un choc —, la mémoire constitue un repère essentiel pour garantir la cohérence du récit collectif, sécuriser les transitions et légitimer les efforts demandés.
L’actif mémoriel permet finalement de répondre à une question simple mais décisive :
comment changer sans se renier ?
Valoriser la mémoire, c’est donner une profondeur au futur.
C’est faire de l’histoire vécue une preuve de la capacité à se transformer, encore et toujours, sans perdre ce qui fonde l’entreprise.